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Le dilemme Ebola : rassurer ou alarmer ?

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L’épidémie actuelle de maladie à virus Ebola n’a rien à voir avec toutes celles que nous avons connues par le passé qu’il s’agisse de son ampleur, de son étendue géographique, de sa durée ou encore de sa présence en milieu urbain. Jusqu’à présent, ces flambées étaient locales et ne créaient pas de débordement des systèmes de soins.

Lorsque l’on fait face à une nouvelle situation de santé publique, il faut reconnaître que c’est dans l’action que l’on apprend. Autrement dit, et cela n’est guère confortable, même s’il existe un socle solide de références sur la gestion des épidémies, c’est en menant un retour d’expérience en continu, en analysant en permanence les succès et les erreurs, que l’on comprend les déterminants du risque et qu’on améliore sa gestion. Un peu comme si on construisait son bateau tout en naviguant !

Dans ce contexte, quelle posture convient-il d’adapter ? Faut-il rassurer ou alarmer ? C’est une question que j’ai discutée dès le premier billet de ce blog. Schématiquement, rassurer permet d’éviter un niveau de crainte excessif qui peut être nuisible, notamment en favorisant des réactions de discrimination inappropriées ou des décisions absurdes comme celles relatives à la quarantaine que j’ai commentées dans mon dernier post. Rassurer, c’est aussi éviter que des ressources soient détournées de problèmes plus importants, mais moins effrayants en apparence, ce qui est un mauvais calcul sur le moyen terme. Tout ceci se résume dans une formule rabâchée : il faut éviter la « psychose ».

D’un autre côté, alarmer permet de mobiliser. Mobiliser localement, ce qui est indispensable puisque sans vaccin ni médicament spécifique, la maîtrise du risque Ebola dépend des comportements de chacun, une situation que l’on a bien connue au début de l’épidémie de sida. Mobiliser internationalement, puisque dans les pays africains les plus touchés, les ressources sanitaires disponibles sont quantitativement et qualitativement faibles. Sans message d’alarme, la prise de conscience ne se fait pas. Cela conduit à un retard à l’action. Ce qui est maîtrisable facilement au début, ne l’est plus passé un certain palier épidémique.

Alarmer, c’est aussi parfois se protéger comme décideur. On annonce le pire. S’il se produit, on pourra à dire à bon escient « je vous avais prévenu ». S’il ne se produit pas, on dira « plus de peur que de mal ». Quand la météo annonce du soleil et qu’il pleut, on lui en veut beaucoup et on ne l’écoute plus. Dans le cas inverse, on lui pardonne et on l’oublie. Mais dans le cas du risque sanitaire, ce n’est pas si simple. On l’a bien vu lors de la pandémie grippale de 2009 qui fut bien moins grave que ce qui était annoncé par les autorités. L’opinion n’a pas pardonné, cela a laissé des traces.

Il faut reconnaître qu’il n’est pas facile de trouver le bon équilibre entre les deux postures. La tentation de rassurer est profondément humaine, c’est celle que l’on adopte spontanément vis-à-vis de ses enfants. C’est ainsi que le responsable des Centers for Disease Control, l’organisme fédéral américain qui porte les doctrines d’investigation et de prévention sanitaire, a fait une déclaration inaugurale rassurante : « les hôpitaux américains peuvent prendre en charge les malades d’Ebola en toute sécurité ». Il a été brutalement démenti par les événements de Dallas.

La conséquence d’une perte de crédibilité des messages officiels, c’est immanquablement un effondrement de la confiance. Un cercle vicieux infernal se met alors en place. Les autorités cherchent à retrouver la confiance en rassurant, mais plus elles rassurent et moins on les croit. Or, sans confiance, il est impossible de gérer des situations comportant des incertitudes.

La question centrale est donc bien celle de l’incertitude. Quelle pédagogie de l’incertitude convient-il de promouvoir ? Souvent, les décideurs imputent à la population des peurs qui sont avant tout les leurs. Dans mon expérience, lorsque l’on sollicite loyalement la raison, que l’on explique les avantages et les inconvénients des options possibles, que l’on reconnaît la part d’incertitude tout en expliquant ce que l’on met en œuvre pour la réduire, les parties prenantes vous écoutent. La communication de l’incertitude se prépare. Il est utile de la tester et de la concerter auprès de leaders afin de trouver le centre de gravité des attentes, ce qui permet de construire un consensus d’actions.

« Comment pouvons-nous vous faire confiance si vous ne savez ce qu’il en est ni où nous allons ? ». C’est une question légitime qui demande de l’humilité aux responsables. Mais il faut être bien conscient que lorsque l’on adopte un langage résolument rassurant alors que chacun sait confusément que la situation est incertaine, la population va vite considérer que les décideurs ne comprennent pas ses préoccupations.

Il est erroné de croire que l’incertitude est toujours anxiogène. Lorsqu’un responsable a le courage de dire « je ne sais pas tout, donc j’ai besoin de tous », il favorise la confiance plutôt que la méfiance. De Colbert à de Gaulle, en passant par Napoléon Ier, de Descartes à Pasteur, en passant par Claude Bernard, ce n’est ni la culture de gouvernement ni la culture scientifique que l’histoire nous a léguée.

La multiplication des épidémies conduira-t-elle à changer ce modèle d’autorité ? Il faut le souhaiter, tant la gestion de l’incertitude est la question prégnante au XXIe siècle.












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